Ould Kablia : «Il est exclu d’envisager un report des législatives. Le processus est trop engagé pour revenir en arrière.»
Quel processus ? Celui du Tikherbichine ?
25 ans. Il est jeune. Il est marchand ambulant. Il s’est immolé par le feu après une altercation avec un policier. Bouazizi le Tunisien ? Non ! Hichem Missoumi, citoyen algérien vivant à Tiaret et dont l’histoire est relatée ce matin dans vos journaux. Deux jeunes hommes. Deux détresses. Un même «job». Une même altercation avec un représentant de l’ordre, si l’on excepte le sexe du flic et les noms d’oiseaux lancés. Le même combustible. Le même détonateur. Une révolution planétaire, au bout du supplice de l’un. Rien ou presque, une demi-route coupée, une marche pacifique prévue hier vendredi à Tiaret et interdite avant même d’avoir été programmée par ses initiateurs, au bout de l’abominable souffrance de l’autre. Et cette question qui devrait figurer dans les annales de l’existentialisme, des examens du bac, de la philosophie expliquée aux ploucs ou encore dans le guide du routard kamikaze : pourquoi deux immolés par le feu ne provoquent pas en bout de chaîne la même réaction ? Doit-on, pour y apporter une réponse, envoyer dans quelques laboratoires étrangers un échantillon de l’essence employée par Hichem pour savoir si elle est foncièrement différente de celle qu’a utilisée feu Bouazizi, du moins dans son principe de combustion ? L’essence vendue en Tunisie fait-elle plus de bruit lorsqu’elle se consume que son «homologue», l’essence commercialisée par Sonatrach ? Où alors, est-ce le procédé employé pour mettre le feu à cette essence ? La chronique des faits ne dit pas si Bouazizi et Missoumi ont employé tous deux des briquets. Ou si l’un a eu recours à des allumettes. Quelles que soient les questions bêtes à brûler que l’on pourra se poser, aucune d’entre elles ne peut expliquer ceci : il y a aujourd’hui dans le «Grand Maghreb jamais fait» un 1er et un 2e collège des immolés par le feu. Une sorte de ségrégation entre les sacrifiés, les désespérés du jerrican. Le Tunisien inonde la planète d’un tsunami salvateur. L’Algérien ne perturbe même pas le vol flemmard d’un papillon survolant un champ de coquelicots en bordure de la ville de Tiaret. L’effet papillon revisité ? Trop compliqué pour moi, d’autant que je n’ai jamais eu la chance de voir un champ s’embrasant d’une floraison éphémère de coquelicots. Par contre, mon petit esprit est juste assez large pour mesurer la valeur d’une vie algérienne. Rien. Sinon une clameur vite tue. Quelques gueules noires qui ont crié deux heures durant, avant de s’en aller se disputer comme chaque matin une portion de trottoir où poser qui sa charrette, qui ses cageots, qui sa nappe de camelot. Et ce drame terrible, en bout de course et d’impuissance : vous aurez beau demain, après-demain et les jours suivants marteler ce nom, Hichem Missoumi. Le dire et le redire. L’écrire en Une. Le rappeler en dernière page. L’histoire et les saisons humaines ne retiendront que celui de Bouazizi. Mon Dieu ! Que le feu est raciste ! Je fume du thé et je reste éveillé, le cauchemar continue. H. L.
|