Danielle Mitterrand, les combats d'une militante
Danielle Mitterrand, les combats d'une militante -
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Danielle Mitterrand, les combats d'une militante
| 22.11.11 | 08h55 • Mis à jour le 22.11.11 | 12h13
"Je continuerai mon action jusqu'à ma mort" : promesse, conviction, évidence d'un destin, Danielle Mitterrand ne se trompait pas, en cette année 1992. La femme de l'ancien président de la République, qui s'est éteinte, mardi 22 novembre, à 87 ans, à l'hôpital Georges Pompidou à Paris, venait alors de réchapper d'un attentat à la voiture piégée, en plein Kurdistan irakien. Sept personnes avaient été tuées et dix-sept autres blessées dans le convoi de la présidente de la fondation France-Libertés.
Tiers-mondiste, altermondialiste, Danielle Mitterrand s'est consacrée avec opiniâtreté aux causes qu'elle estimait justes. Une première alerte de santé, en septembre, ne l'avait pas empêchée de préparer le 25e anniversaire de sa fondation, le 21 octobre. "Il faut que j'écrive mon discours !", répétait-elle, encore alitée.
Une photo nous la montre, le jour de la cérémonie. Les yeux de chat sont rieurs et sur l'éternel pull noir brille le bijou qu'elle ne quittait jamais : un pendentif en or où se mêlent les branches du chêne et de l'olivier, l'arbre imaginaire et symbolique de François Mitterrand. Cet homme brillant, séducteur, charismatique, qui fut son mari cinquante et un ans durant… Une autre sorte de combat.
"J'AI UN FIANCÉ POUR TOI…"
La première rencontre ne la convainc guère, pourtant, dans cette brasserie parisienne où sa sœur Madeleine leur a donné rendez-vous, un soir d'avril 1944. La résistante, qui deviendra l'épouse de Roger Hanin et productrice de cinéma sous le nom de Christine Gouze-Rénal, lui a écrit quelques semaines auparavant : "J'ai un fiancé pour toi…"
Dans son réseau, Madeleine-Christine a fait la connaissance du "capitaine Morland", autrement dit François Mitterrand. Du haut de ses 19 ans, Danielle Gouze explique ingénument à sa sœur : "C'est un homme. Moi ce que j'aime ce sont les garçons !" Mais la guerre, où l'on joue son identité et sa vie, ne se prête pas aux atermoiements. Cet homme-là, après s'être beaucoup cherché à Vichy, est maintenant recherché par la Gestapo.
En juin 1944, il se cache en Bourgogne "en compagnie d'une jolie fille dont les yeux de chat admirables restent fixés sur un au-delà dont j'ignore les bornes et les accidents", écrit-il à une amie (Les Mitterrand, Robert Schneider, Perrin, 2011). Et elle, que sait-elle des bornes et des accidents de ce bourgeois de province, lettré, catholique, beau comme une médaille romaine ? Même pas son nom ! Elle croit toujours qu'il s'appelle Morland. Elle ignore qu'il vient de connaître une immense peine d'amour avec Marie-Louise Terrasse, la future speakerine Catherine Langeais. Danielle ne sait rien, non plus, du clan Mitterrand, cette fratrie serrée, solidaire, nombreuse, éclose dans un milieu éclairé, mais conservateur.
NÉE À VERDUN EN 1924
Ses parents, en revanche, Antoine et Renée Gouze, un couple d'enseignants de gauche, ont tout de suite mesuré la profondeur intellectuelle du jeune Charentais. Danielle, née le 29 octobre 1924 à Verdun, a déménagé, comme son frère et sa sœur aînés, au rythme des nominations de leur père. Ce directeur d'un collège de Villefranche-sur-Saône, franc-maçon au Grand-Orient, militant à la SFIO, a refusé d'établir la liste des enfants et des professeurs juifs de son établissement : Vichy l'a suspendu sans traitement. "J'avais 16 ans. J'ai dû sortir de l'insouciance et mesurer ma capacité de révolte devant l'injustice, celle que subissaient ces enfants, celle que subissait mon père", écrit-elle dans Le Monde en mai 1986. Le couple Gouze s'est réfugié dans la maison familiale de Cluny et vit en donnant des cours particuliers. Surtout, ils cachent Henri Frenay, chef du réseau Combat, et sa compagne Bertie Albrecht qui sera torturée par la Gestapo.
Mitterrand, très lié à Frenay, entre dans la famille Gouze plus que Danielle n'entre dans la sienne. Il n'y a pas meilleur brevet de Résistance que cette tribu-là. Le mariage a lieu à la mairie du VIe arrondissement de Paris, puis à l'église Saint-Séverin, le 28 octobre 1944. Avant la fin du banquet, il part pour une réunion du Mouvement national des prisonniers et déportés (MNPGD), qu'il préside. Le gâteau n'est même pas coupé. "Je vous accompagne !", s'écrie-t-elle. Et la voilà, en robe de mariée, au fond d'une salle enfumée. Le lendemain, elle a 20 ans et toute la vie pour méditer ce qu'il lui arrive.
L'ambition le dévore et le pousse, elle suivra. Le parti qu'elle a pris, c'est celui de son mari. Partout, toujours, et publiquement, jusqu'à excuser tout. La francisque ? "Une couverture pour ses activités de Résistant" ! Sa maladie, qu'elle ne découvre qu'en 1991, comme elle l'assure à L'Express ? "Il avait simplement préservé notre tranquillité d'esprit."
Lorsque Gilbert naît, en 1949, trois ans après Jean-Christophe, elle n'a que 24 ans et son mari a déjà été député et ministre. Rien ne l'a rebutée, ni les campagnes harassantes, ni les mondanités, qu'elle déteste. Quant à ses incessantes conquêtes… Le jour où elle parle de divorce, il se récrie. Danielle est sa femme, devant Dieu et devant les hommes, ils forment un couple, quoi qu'on dise. Mitterrand apprécie aussi beaucoup sa belle-famille. Et puis, divorcer alors que s'annonce une carrière brillante ?
UN PACTE
A l'aube des années 1960, il lui propose un pacte, selon lequel chacun pourra vivre sa vie de son côté, tout en préservant leur couple social, racontent Ariane Chemin et Géraldine Catalano dans Une famille au secret (Stock, 2005). Elle gardera pour elle ce qu'il lui coûte de l'accepter. Un jour, elle le prendra au mot, avec Jean, professeur d'éducation physique, que les visiteurs de la rue Guynemer, puis de la rue de Bièvre, prendront l'habitude de croiser.
De la naissance de Mazarine, la fille de Mitterrand et d'Anne Pingeot, en décembre 1974, elle dira que ce ne fut "ni une découverte ni un drame". Mais la révélation publique de son existence, à l'hiver 1994, fut un choc terrible. En juillet, elle a subi une double opération cardiaque pour "réparer son pauvre petit cœur", dira-t-elle. Danielle Mitterrand eut en tous cas l'élégance, au yeux de la France entière, d'accueillir Mazarine entre ses deux fils, lors des funérailles de l'ancien président à Jarnac, en 1996 et de l'embrasser. Elle reçut "un courrier considérable".
Elle est là, présente, attentive, à toutes les étapes de l'ascension politique de François Mitterrand, en militante et en femme de gauche. Le 19 mai 1974, elle pleure de rage, quand la victoire tient à 0,62 % des suffrages, qui sont allés à Valéry Giscard d'Estaing. Le 10 mai 1981, elle verse de discrètes larmes de joie quand son mari le bat à son tour, avec plus de 3,5 points d'écart. Et lui, qui murmure dans son oreille à Chateau-Chinon, ce soir-là, "que nous arrive-t-il mon Danou ?"
MILITANTISME ET IDÉALISME
Au lendemain de l'élection, elle promet qu'elle ne renoncera pas à son rôle de militante. Elle va tenir parole. A l'Elysée, Danielle Mitterrand prend une sorte de revanche. Au président, la realpolitik ; à son épouse, le militantisme et l'idéalisme, à gauche toute. C'est un partage qui arrange Mitterrand plus qu'il ne l'embarrasse. En 1986, alors que le premier ministre de cohabitation, Jacques Chirac, vient de créer un secrétariat d'Etat aux droits de l'homme, Mme Mitterrand réunit ses trois associations en une, sous le nom de France-Libertés, bien décidée à lui faire pièce.
Quels opprimés n'a-t-elle pas soutenus ? La femme du président deviendra le cauchemar des ambassades, la bête noire du Quai d'Orsay, un enfer pavé de bonnes intentions pour les conseillers du palais. La cause des Kurdes fait figure d'obsession, au point de susciter cette plaisanterie affectueuse de Roger Hanin : "Vous lui demandez l'heure, elle vous répond cinq heures moins quatre Kurdes."
La femme du président a l'art de se mettre à dos quelques dirigeants du monde, tout en réjouissant "le peuple de gauche". Si les Chinois s'irritent de son amitié avec le Dalaï-Lama, Hassan II est son meilleur ennemi. Il lui fit payer très cher son absence dans les voyages officiels du chef de l'Etat au Maroc, son soutien déterminé au Front Polisario ou aux prisonniers politiques. Non seulement, il entrava ses déplacements, mais le souverain alaouite aura le front, en 1991, sur TF1, de qualifier la femme du président d'"épouse morganatique". Elle embrasse Fidel Castro, au mépris de solides contradictions, porte aux nues le sous-commandant Marcos, sillonne l'Afrique ou l'Amérique latine.
L'ARGENT VIENDRA À MANQUER
Dix ans avant le printemps arabe, elle fustige le pouvoir tunisien "dans son entreprise de dévastation de la société civile". Sa bataille des dernières années ? L'accès de toutes les populations à l'eau potable. La première dame – une appellation qu'elle déteste – a eu cependant ses ambiguïtés : cette femme "libre" n'aurait pas compris que les riches amis du président, donateurs habituels de la gauche, Pierre Bergé (actuel président du conseil de surveillance du groupe Le Monde) Max Théret, le cofondateur de la Fnac, Loïc Le Floch-Prigent, PDG de Elf, ou même Georgina Dufoix, la présidente de la Croix-Rouge, ne versent pas une confortable obole à France-Libertés.
Quand l'argent viendra à manquer, deux ans après la mort de François Mitterrand, en 1998, la présidente de la fondation vendra une grande partie des cadeaux qui lui ont été offerts à ce titre. Il n'y a guère que la situation de son fils aîné Jean-Christophe, qui la détournera de ses croisades. Pour lui, qui sera condamné dans le procès de l'Angolagate, elle vend des meubles et hypothèque la rue de Bièvre. Elle le défend avec la dernière énergie.
Le tout dernier combat, pourtant, elle le perdra. François Mitterrand a renoncé à une sépulture commune, son vœu à elle, dans le parc national du Morvan. L'enterrement a lieu à Jarnac, "où sa famille l'a récupéré, en quelque sorte", dira-t-elle. Il est inhumé près de ses parents, elle sera enterrée à Cluny, auprès des siens. "Je ne me suis jamais ennuyée en partageant sa vie, ni dans la joie ni dans la peine", écrit-elle dans son livre En toutes libertés (Ramsay, 1996). "Rien de banal ou de médiocre, je ne regrette rien. Pour tous ceux qui nous aiment, François et Danielle sont inséparables, indissociables". Ainsi l'a-t-elle voulu, acceptant d'en payer le prix.
>> Lire aussi le dernier entretien de Danielle Mitterrand à paraître le 24 novembre dans l'hebdomadaire La Vie
Béatrice GurreyA découvrir aussi
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