De l'aspirine pour prévenir et traiter certains cancers ?
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De l'aspirine pour prévenir et traiter certains cancers ?
Doit-on prendre tous les jours un peu d'aspirine pour diminuer le risque de certains cancers et de leurs complications ? Trois nouvelles études scientifiques publiées dans la revue The Lancet pourraient le laisser penser. Néanmoins, ces données devront être confirmées. D'autant que le rapport bénéfices/risques d'une prise quotidienne d'aspirine n'est pas toujours favorable.
Depuis de nombreuses années, l'éventuel effet positif de l'aspirine sur les cancers fait débat (voir notamment cet article Doctissimo de 2004 : L'aspirine : une arme miracle face au cancer du sein ?). Ces 3 nouvelles études suscitent des espoirs légitimes, mais elles nécessitent confirmation.
Moins de décès par cancer chez les patients sous aspirine ?
Le Pr. Peter Rothwell et ses collègues de l'Université d'Oxford ont tout d'abord décortiqué les résultats de 51 études rigoureusesréalisées auprès de patients prenant de l'aspirine à dose variable, soit pas d'aspirine ni autre agent médicamenteux antiplaquettaire. Ces essais cliniques n'étaient pas consacrés à la prévention anti-cancer mais à l'évaluation des éventuels bénéfices cardiovasculaires d'une prise quotidienne de ce médicament.
Résultat, dans les 32 essais où les causes de mortalité étaient connues (69 000 patients), les chercheurs ont constaté une baisse de 15 % des décès par cancer chez les patients sous aspirine. Cette baisse est encore plus importante si l'on se focalise sur le cancer colorectal et le lymphome (risque divisé par 2).
L'effet optimal était atteint au bout de 5 années de prise, avec une réduction de 37 %, du risque de décès toujours selon cette étude indirecte de la mortalité. Ces études ont également montré une diminution de la mortalité par hémorragie massive, mais pas des décès par accident cardiovasculaire.
Une prévention de la survenue de métastases ?
Les mêmes scientifiques anglais ont également analysé 5 groupes de patients regroupant 17 285 participants. Ces derniers étaient suivis en moyenne pendant 6 ans et demi pour vérifier, initialement, si l'impact d'une prise quotidienne d'aspirine (≥ 75 mg/jour) influe sur la survenue de problèmes cardiovasculaires.
L'analyse montre une réduction de 36 % en moyenne de la survenue de métastases chez les patients sous aspirine, ce qui "pourrait expliquer la baisse de la mortalité à court terme constatée" et résumée par l'étude décrite ci-dessus, constatent les auteurs. Cette baisse est encore plus notable pour les adénocarcinomes (cancers développés à partir d'une glande, comme la thyroïde, le sein, ou d'un tissu glandulaire, comme les bronches, l'estomac, le côlon, etc.). L'étude montre aussi que les patients qui ont continué l'aspirine au-delà de l'essai clinique ont un risque encore plus réduit de métastases. Et la réduction est encore plus flagrante pour les fumeurs.
Cet effet protecteur existerait même si la prise d'aspirine est commencée après le début du cancer, avec une diminution du risque de métastases plus importante s'il s'agit d'un cancer du côlon.
Par ailleurs, ces 5 études confirment la baisse de la mortalité trouvée dans la première analyse, mais uniquement pour les adénocarcinomes, qui sont cependant les cancers de loin les plus fréquents.
Moins de cancers si l'on prend de l'aspirine en prévention ?
La première analyse des 51 études a aussi montré que les hommes et femmes qui prennent de faibles doses d'aspirine (moins de 300 mg) tous les jours pendant 3 ans avaient une diminution de 25 % du risque de cancers.
Selon une troisième analyse de la même équipe, toujours publiée dans le Lancet fin mars, la prise régulière d'aspirine pendant 20 ans était associée à un risque de cancer colorectal réduit de 38 % (comparaison de 17 études). Des réductions tout aussi significatives ont aussi été observées pour les risques de survenue de cancer de l'œsophage, de l'estomac, des voies biliaires et du sein.
Enfin le risque de cancer métastatique est également diminué de 31 %, mais pas celui d'envahissement locorégional (diffusion des cellules cancéreuses à proximité du foyer initial).
D'où viendraient ces effets protecteurs ?
Ces effets apparemment bénéfiques pourraient s'expliquer par l'action directe de l'aspirine, qui diminue la biosynthèse de prostaglandines, médiateurs biologiques que l'on trouve dans tous les organes. Cela diminuerait l'inflammation liée au développement du cancer et donc sa propagation. Mais le mécanisme exact n'est toujours pas connu (cette piste est évoquée depuis longtemps, il est possible que l'effet de l'aspirine sur la coagulation intervienne aussi).
Les 3 grandes études résumées ci-dessus soulignent que la prise régulière d'aspirine pourrait diminuer le risque de cancer et de métastases, en particulier pour le cancer colorectal et si l'aspirine est prise longtemps et à dose assez élevée.
Des résultats à confirmer par des études directes
Andrew Chen et Nancy Cook (Harvard, Boston, USA), dans un 4ème article-commentaire paru simultanément dans le Lancet, rappellent que ces analyses ont exclu des études négatives importantes sur les effets potentiels de l'aspirine contre le cancer. Par exemple comme celle-ci, parue dans le JAMA en 2005, qui ne constate pas d'effet préventif anticancéreux d'une prise de 100 mg d'aspirine tous les 2 jours. Ils soulignent également que les suivis analysés par l'équipe du Pr. Rothwell ont été réalisés par des cardiologues, et non des cancérologues, plus à même de juger de l'évolution d'une maladie cancéreuse et de ses complications. D'où la nécessité de confirmer ces espoirs par des études directes.
Néanmoins, toujours selon ces deux chercheurs, l'importance des baisses observées devrait déjà inciter à inclure l'aspirine dans la prévention lorsqu'il y a un risque important de cancer colorectal ("preuves statistiques les plus fortes").
Cancer et environnement : comment limiter les risques ?
Evalué à 365 000 nouveaux cas en France en 20111, le nombre de cancers ne cesse d'augmenter, avec un doublement ces trente dernières années2. Pour expliquer ces chiffres et tenter d'inverser la tendance, les scientifiques étudient l'influence des changements survenus dans la même période.
Depuis les années 80, notre façon de vivre a beaucoup changé. Alors que le rôle de certains comportements est désormais bien établi, celui de l'environnement commence à être évalué. Quels sont les facteurs environnementaux aujourd'hui incriminés ? Et, surtout, peut-on s'en protéger ? Le point avec le Dr Béatrice Fervers3, coordinatrice de l'Unité cancer et environnement au centre Léon Bérard, à Lyon.
Doctissimo : Aujourd'hui estimé à plus de 365 000 nouveaux cas par an1, le nombre de nouveaux cas de cancers a plus que doublé depuis 19802. Que s'est-il passé ?
Dr Béatrice Fervers : Ces chiffres doivent être relativisés. Dans le même temps, en effet, la population française est aussi plus nombreuse et surtout plus âgée du fait d'une meilleure espérance de vie. Or, la plupart des cancers surviennent après 65 ans. Le nombre de nouveaux cas annuels a donc "réellement" augmenté de 48 % chez l'homme et de 46 % chez la femme.
Le dépistage et le diagnostic ont beaucoup progressé et se sont généralisés pour certains cancers. On dépiste aujourd'hui de très petites tumeurs, d'évolution lente, qui seraient passées inaperçues dans les années 80. Le dépistage du cancer du sein, par exemple, explique à lui seul 50 % de l'augmentation des cancers chez la femme2.
Une fois ces facteurs pris en compte, on peut estimer que l'augmentation des risques est responsable de 15 à 25 % du nombre de nouveaux cas annuels, sans qu'il soit possible, dans l'état actuel des connaissances, d'évaluer avec précision la part de l'augmentation liée aux expositions environnementales.
Doctissimo : Certains facteurs environnementaux sont-ils en partie responsables ?
Dr Béatrice Fervers : On estime que jusqu'à 30 % des cancers sont aujourd'hui attribuables à des facteurs comportementaux : tabac, alcool, surpoids et manque d'activité physique (NDLR : voir notre encadré). Les expositions professionnelles, même anciennes, interviennent également dans 4 à 8 % des cas.
Au total, seuls 5 % des cancers sont attribuables à l'environnement au sens strict, c'est-à-dire à des agents physiques ou chimiques présents dans l'atmosphère, l'eau, les sols et l'alimentation.
Doctissimo : Ces "agents" environnementaux interviennent donc de façon relativement marginale. Ils n'en restent pas moins difficiles à accepter dans la mesure où nous les subissons. Pourquoi commencent-ils seulement à être considérés ?
Dr Béatrice Fervers : De manière générale, depuis quelques années, on se préoccupe davantage de l'environnement et de son impact sur la société et la santé. L'espérance de vie a beaucoup augmenté, passant d'à peine 50 ans en 1900 à plus de 80 ans aujourd'hui mais cette progression ralentit, c'est pourquoi on s'intéresse aux facteurs qui la freinent.
Alors que le tabagisme ou l'alcool sont associés à des risques élevés, les facteurs environnementaux correspondent à des risques beaucoup plus faibles (risque relatif de l'ordre de 1,05 à 1,5), donc un impact difficilement mesurable au niveau individuel.
Par ailleurs, les facteurs environnementaux se superposent aux autres facteurs de risque et il faut toujours plusieurs facteurs et plusieurs étapes pour qu'un cancer se développe.
Doctissimo : Quels sont les facteurs environnementaux qui augmentent, avec certitude, le risque de cancer ?
Dr Béatrice Fervers : Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC)4 évalue régulièrement les agents susceptibles d'accroître le risque de cancer chez l'Homme et établit un classement des différents facteurs en fonction de leur potentiel cancérogène. Les cancérogènes avérés appartiennent au groupe 1 (107 agents), les cancérogènes probables et possibles aux groupes 2A (59 agents) et 2B (267 agents).
Beaucoup des facteurs actuellement mis en cause sont dans le groupe 2. Suite à des études in vitro, ou parce qu'on a pu démontrer leur influence chez l'animal, ils sont suspectés d'être cancérigènes chez l'homme mais leur rôle n'a pas encore été formellement démontré ou les mécanismes d'action ne sont pas connus.
Doctissimo : Que penser, par exemple, des perturbateurs endocriniens ?
Dr Béatrice Fervers : La plupart des cancers en augmentation sont des cancers dits hormonodépendants (cancers du sein et de la prostate) ou des cancers de certaines glandes hormonales (cancer du testicule). D'après les données expérimentales, on ne peut pas exclure une contribution des perturbateurs endocriniens (PEs) dans ces augmentations. Pour la plupart d'entre eux, les études chez l'Homme n'ont toutefois pas permis de conclure quant au risque réel.
Parmi les PEs, qui appartiennent à différentes familles chimiques, on trouve les polychlorobiphényles (PCB), interdits depuis 1987 mais toujours présents dans les rivières et qui s'accumulent dans certains poissons d'eau douce5 ; les dioxines dont l'émission industrielle est réglementée ; les phtalates et le bisphénol A utilisés dans les plastiques, en particulier les emballages de très nombreux produits alimentaires et de la vie courante, et dont il a été recommandé d'indiquer la présence dans les produits destinés aux femmes enceintes et aux enfants.
Compte tenu de la grande diversité des PEs, préciser leur rôle par rapport à celui d'autres facteurs et obtenir des preuves épidémiologiques reste difficile, ce qui explique en partie les polémiques et controverses.
Doctissimo : Quels sont les autres facteurs environnementaux à prendre en compte ?
Dr Béatrice Fervers : Parmi les cancérogènes avérés, présents dans l'environnement, certains sont déjà bien connus au niveau professionnel comme l'amiante, le formaldéhyde, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP)... Dans le groupe 1 du CIRC, on trouve aussi les rayonnements UV, naturels et artificiels, l'exposition solaire étant responsable de près de 70 % des mélanomes, ainsi que le radon. Ce gaz, présent dans certaines régions, s'accumule dans les habitations mal aérées et est responsable de 8 à 15 % des cancers pulmonaires en Europe.
Doctissimo : On parle aussi des champs électromagnétiques, de certains additifs présents dans les aliments, des polluants utilisés par différentes industries... Que peut-on faire, à titre personnel, pour limiter les risques ?
Dr Béatrice Fervers : Concernant les champs électromagnétiques, rien n'est prouvé pour l'instant, ni le risque, ni son absence. Les téléphones portables restent largement la principale exposition aux champs radiofréquences, en comparaison, notamment, à l'exposition générée par les antennes relais. Par mesure de précaution, il est conseillé de limiter l'usage du téléphone mobile, tant sur le nombre que sur la durée des appels, et d'éviter de téléphoner lorsque la réception est mauvaise, en particulier si l'on est en mouvement (train, voiture...).
Il n'y a pas ou très peu d'études évaluant les additifs alimentaires et les données issues des études expérimentales sont difficilement transposables à l'Homme. De manière générale, pour rester en bonne santé, mieux vaut toutefois privilégier une alimentationéquilibrée, avec des produits peu transformés, des fruits et légumes issus d'une agriculture raisonnée ou alors bien lavés et épluchés. Par prudence, vis-à-vis des perturbateurs endocriniens, on déconseille par ailleurs de consommer des aliments chauffés au contact de plastiques.
Pour le reste, il s'agit d'éviter l'usage domestique de cancérogènes suspectés (engrais,pesticides, peintures, solvants...) ou, à défaut, de porter des protections adaptées, de bien se laver les mains et d'aérer en intérieur ; de ne pas bricoler, même pour percer un trou, en zone amiantée ; de se passer de barbecues et feux de cheminées, sauf à utiliser du bois ou du charbon non traité.
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