Lundi, 9h30. Six journalistes algériens débarquent au Quai d’Orsay, le sanctuaire de la diplomatie française. L’objet de la mission est de s’enquérir de la relation algéro-française qui peut se résumer actuellement à la température polaire qui règne à Paris. À l’entrée, on découvre que le plan Vigipirate est passé au rouge, mais les contrôles ne sont pas zélés. À peine un scanner, même pas corporel, pas de quoi provoquer un scandale diplomatique matinal.
Le long du couloir, une exposition photos rappelle le drame en… Haïti. Les visages héroïques des sauveteurs français ou l’autre manière de faire de la diplomatie. Haïti. Un drame planétaire qui mobilise “la maison” de Bernard Kouchner qui a donné au Quai des accents d’ONG interventionniste. Kouchner, celui qu’Alger a toujours regardé avec méfiance du fait de son appartenance à la famille socialiste et son invariable droit d’ingérence. Bernard Kouchner que nos consœurs de l’Expression et d’El Watan ne cessent de réclamer. “Vous savez, il est trop occupé actuellement”, leur répond-on poliment.
Ziani au Quai d’Orsay ?
Premier passage obligé, les porte-parole. Ceux qui portent le message de la diplomatie française. Romain Nadal est le sous-directeur de la presse. Petit bouc poivre et sel, lunettes cerclées, aux manières chirurgicales. Il nous explique la façon de communiquer du Quai d’Orsay avec les points de presse électroniques, les communiqués en plusieurs langues et les réactions en temps réel. Je ne sais pas pourquoi j’ai eu une pensée émue pour Mourad Medelci, notre MAE, dont la communication se rapproche davantage de l’huître que de la diplomatie. Mes pensées sont interrompues par l’entrée en matière sympathique de M. Nadal : “J’ai été dans un café où il y avait un poster de l’équipe algérienne sur le mur. Et savez-vous quoi ? Ils m’ont dit que je ressemblais à un joueur algérien de votre équipe nationale.”
Cette réflexion attire comme un sourire attristé à mes confrères qui semblaient accablés qu’on leur parle football et autre Saâdane en ce lieu si lointain de Khartoum. J’étais tout aussi effondré surtout que je ne voyais pas réellement à qui pouvait bien ressembler le monsieur. Peut-être à Ziani… par la taille. Bref, l’échange était du même acabit avec des “communicants” qui font bien leur travail, mais qui semblaient tellement loin de ce qui nous préoccupait. À savoir : comment cela va-t-il entre Paris et Alger ?
L’UPM : “le machin” de Sarkozy
Après cette réunion sans grand intérêt, on débarque à la mission interministérielle de l’Union pour la Méditerranée (UPM). Les deux diplomates français qui occupent le lieu ont la lourde tâche de rendre le fantasme de Nicolas Sarkozy une réalité. L’édifice qui fait face à l’Élysée, précisément face au jardin où Sarkozy fait semblant de faire son jogging chaque matin, est majestueux avec sa pierre d’Aix, ses lignes parfaites et ses murs qui semblent résister au temps. L’endroit était, jusqu’à récemment, le lieu de résidence des chefs d’État étrangers en visite à Paris. C’est là que le président Bouteflika avait résidé en juin 2000. Et c’est là que l’indécrottable Kadhafi avait posé sa tente au mépris de siècles de culture.
Jean-Christophe Menet arrive. Ce diplomate s’excuse et semble désarçonné par ces journalistes qui avaient déjà squatté la salle de réunions, véritable musée, avec ses porcelaines et ses bustes en marbre noir. En attendant l’UPM, on prend des photos comme des Japonais. L’UPM. En voici un sujet qui nous éloigne de notre question de base : que se passe-t-il entre Alger et Paris ? Menet, un trentenaire aux mains nerveuses, distille son discours sur “le défi”, “l’aventure” et l’extraordinaire “pari” qu’est cette Union qu’a proposée Sarkozy et qui a tant de mal à fédérer les 43 pays signataires et encore plus de mal à convaincre Alger de s’y investir. J’ai eu une pensée pour Bouteflika qui doit se dire que cette union, qui réunit à sa tête Nicolas Sarkozy et Hosni Moubarak, ne semble exister que pour l’embêter. Sarkozy qui tisse son projet du Maroc à Israël a eu la mauvaise idée, pour le président algérien, de favoriser Moubarak, notre “meilleur nouvel ennemi”. Juré, ce n’est pas pour reparler football. L’Algérie n’est nulle part. Ni dans ce projet et ses secrétariats ni dans le discours de M. Menet qui a le mérite de tenter de nous convaincre que nous y avons notre place dans cette Méditerranée. “N’est-ce pas une normalisation déguisée avec Israël que Paris propose ?” osais-je. Et nous voilà repartis pour cinq autres minutes de langue de bois. Mais en français dans le texte. À force d’entendre cela, je me rappelle curieusement les photos d’Haïti sur les murs en me disant que cela aurait été bien que ce soient des photos de Gaza. Ses enfants, ses femmes et ses immeubles détruits par Israël. Qu’en dirait Kouchner ?
Il est temps de prendre congé du jeune diplomate qui a capté que ce sujet ne nous fait pas sauter au plafond. D’ailleurs, il était très haut le plafond de cette salle de réunion qui sent la naphtaline et les pas feutrés des rois de France.
Intégration contre islam
Le déjeuner est programmé au restaurant Le Vauban, pas loin de la Concorde, où je distingue des Japonais avec des appareils photos. Un pléonasme parisien. J’étais tout aussi surpris que les collègues ne dégainaient pas les leurs. Benoît Normand nous y attend. Normand de nom et d’appartenance. Silhouette imposante, chevelure blanche et costume rayé élégant, qui semble sorti des salons privés londoniens. Il préside le Haut-Conseil à l’intégration (HCI) créé par Michel Rocard. À ne pas confondre avec notre Haut-Conseil islamique. Un organe consultatif qui a eu l’avantage ou l’inconvénient d’avoir soufflé l’idée du débat sur les “valeurs communes” des Français, transformé par Eric Besson en débats sur “l’identité nationale”. Le HCI, c’est la boîte à idées de la France multicolore.
Benoît Normand sait de quoi il parle. Entre le duo de saumon aux épinards et le chablis, il nous explique, chiffres à l’appui, que les Algériens ne sont pas aussi nombreux qu’auparavant à bénéficier de la nationalité française. À peine. Burqua, banlieues, excisions, traditions et immigration, tous les sujets y passent avec mesure, sens didactique et une précaution extrême de ne pas choquer les musulmans que nous sommes. “Ce ne sont tout de même pas les bouddhistes qui vous posent problème ?” demande-t-on. Pour M. Normand, il y a cinquante mosquées répertoriées comme salafistes, mais que la France se doit d’intégrer tout le monde. Le HCI conseille le gouvernement Fillon qui puise dans ce think thank des idées pour réussir sa politique d’intégration. Une politique qui, selon notre interlocuteur, intéresse même les Canadiens actuellement. J’ai eu alors une pensée inquiète pour nos exilés algériens au Québec. Faites attention, les idées d’Hortefeux voyagent.
Où est passé Robert Menard ?
Au quartier de la Bourse, l’once d’or flambe. Au siège de Reporters sans frontières (RSF), l’accueil est cordial. Dans les locaux flambants neufs de cette ONG dont l’histoire avec l’Algérie est tumultueuse, on s’est débarrassé des vieux meubles, dont… Robert Menard. RSF veut tourner la page avec la presse algérienne et n’hésite pas à se livrer à l’autocritique. Sur le mur, une affiche reflète l’état de la liberté de la presse dans le monde. L’Algérie est en rouge. La Lybie en noire. “Qu’est-ce qu’il faut faire pour passer à l’orange ?” demandai-je. “Briser les monopoles, notamment audiovisuels et publicitaires”, réplique la représentante du bureau Afrique du Nord. Paradoxalement, le débat glisse vers l’état de la presse en… France. Notre confrère d’El Khabar évoque la liberté de la presse sous Sarkozy. Bug. La représentante va ramener son directeur qui tranche avec Menard. Moins excité et plus constructif, il explique, sans entrer dans le détail, le recul de la presse française dans le monde. En sortant, je tombe nez à nez avec les portraits des journalistes emprisonnés en remarquant que la photo de Taoufik Ben Brik côtoie celle de Hafnaoui Ghoul. Malaise.
Paris otage d’Alger !
Retour au Quai d’Orsay. Anne Claire Legendre, de la sous-direction d’Afrique du Nord, nous accueille. Elle est la cheville ouvrière de la relation. On va enfin entrer dans le vif du sujet. Mais cette blonde, à la coupe carrée, à l’allure d’asperge, maîtrise également les non-dits. On. Elle préfère s’effacer au profit de son chef.
“Double P.”, c’est de lui qu’il s’agit. Dans un bureau plein de portraits de rois, de princes, de souverains et de présidents arabes, travaille celui qui est considéré comme “l’architecte” des relations algéro-françaises. Diplomate chevronné de père en fils, souhaitant garder l’anonymat, il détecte d’emblée qu’on ne veut plus entendre des poncifs sur la relation et ouvre le feu sans sommation : “Les relations algéro-françaises ne se portent pas bien actuellement. Elles sont d’autant moins bonnes que votre Parlement veut adopter un texte antifrançais que je déplore (…)” ; en référence au projet de loi de 125 parlementaires algériens qui veulent criminaliser la colonisation.
Voilà, on est dans notre sujet. Il poursuit son exposé sur le fait que la France est “otage de la proximité”, et accuse certains responsables algériens, sans les nommer, de “presser le bouton France quand cela va mal chez vous”, évoque un “dialogue en panne” et indique que la relation bilatérale n’est pas “là où elle devrait être”. En bon communicant, Double P. dit les choses et arrondit les angles aussitôt. Son message, sur le mode “indigné”, témoigne d’un ras-le-bol français, réel ou surjoué, de servir de punching-ball au pouvoir algérien. Paris veut que le président Bouteflika arrête d’utiliser la relation et sa détérioration, comme un alibi de politique intérieure.
Le propos mordant intéresse mes consœurs qui insistent sur la liste noire qui condamne les Algériens à faire du striptease dans les aéroports français et… américains. Double P. botte en touche, précisément chez notre ambassadeur Sbih qui serait informé de la situation sur une liste qui devait “rester secrète”, selon lui. Le débat commence à tourner en rond du moment qu’il n’est pas réellement nouveau et qu’il revient à la surface comme un cadavre mal lesté. On doit prendre congé de Double P. qui a fait son effet. En clair, le gouvernement français ne peut être tenu pour responsable dans l’affaire Hasseni, les moines de Tibhirine et encore moins la liste noire. Rien de nouveau sous le soleil, surtout qu’il n’y en avait pas.
Allez l’OM…
Le séjour marseillais commence à la Commanderie de l’OM, le centre d’entraînement d’un club qui a le mérite d’être le seul sujet fédérateur entre Marseillais. Le cœur de la ville bat pour son club, souvent au Stade vélodrome où Arabes, Comoriens, Antillais, Africains, juifs ou Arméniens se mélangent sans se taper sur la gueule. Car en dehors de l’enceinte, pas de merci.
Jean Claude Dassier, le président de l’OM, écharpe mauve et élégance parisienne, semble avoir été contaminé par la faconde marseillaise. Il parle sans discontinuer.
L’ancien patron de l’info à TF1 a pris les rênes de ce club en ne sachant pas dans quelle marmite il a mis les pieds. Il s’en rend compte et indique recevoir “cent fois plus d’appels” que lorsqu’il dirigeait la rédaction de la première chaîne française.
Il dresse la politique du club axé sur le centre de formation où pointent quelques jeunes talents algériens. Face à lui, se tiennent des journalistes qui piaffent d’impatience de lui poser la question.
La seule, l’unique, l’indispensable et vitale question qui va probablement faire basculer les relations algéro-françaises. Celle qui va certainement provoquer une nouvelle crise entre Paris et Alger : “Est-ce que oui ou non l’OM va recruter Chaouchi ?”
Voilà. 2 heures d’avion, trois heures de TGV, des heures en bus pour arriver à ça. Que mes confrères harcèlent le pauvre Dassier sur le cas d’un gardien de but que même sa propre équipe refuse d’enrôler. Le président de l’OM, compatissant et ignorant jusqu’à l’existence du gardien de l’ESS, nous donne du grain à moudre : “Je ne le connaissais pas jusqu’à hier, mais on verra en juillet”. Dassier condamne au passage les supporters qui sont sortis avec les drapeaux algériens, “des voyous”, dira-t-il qui ne “représentent pas votre pays”. J’ai pensé alors à Chaouchi qui lui aurait mis un coup de boule pour moins que ça.
Générations décomplexées
Karim Zeribi, sourire ultrabright, cheveux soignés et corps d’athlète, cet ancien footballeur qui avait eu la cheville et la carrière brisées a bien rebondi dans la société marseillaise, gravissant les échelons jusqu’à devenir un élu régional écouté et courtisé, aussi bien par la gauche que par la droite. Il fait partie de ces Français, d’origine algérienne, qui n’attendent pas la charité des politiques mais sont partisans du compter sur soi. Dans le hall du Palais des sports, celui qui gère la RTM (rail et tramway de Marseille) nous explique comment il faut refuser le communautarisme, la politique des quotas, mais surtout organiser la communauté algérienne comme un lobby puissant. Ce qui est loin d’être le cas. Entre deux poignées de main et des sourires électoraux, Zeribi tient un discours décomplexé qui consacre la double appartenance algérienne et française et la laïcité républicaine : “Les incidents de Marseille après la victoire de l’équipe d’Algérie sont le propre de voyous et pas de musulmans comme l’avait dit Gaudin. J’aurais pu crier au scandale, mais il ne faut pas nous stigmatiser, les Français d’origine algérienne.”
Ce quadra dynamique est celui d’une nouvelle France, fière de sa citoyenneté, mais également attachée à ses racines. Reste qu’il a eu la désastreuse idée d’emmener sa famille en vacances en… Égypte un mois après le match. “Malgré nos passeports français, ils ne nous ont pas lâchés à la PAF jusqu’à ce qu’on dise qu’on était algériens”, raconte Zeribi, qui affiche sa laïcité. Le déjeuner se termine, le fils de Zeribi, qui a 20 ans, me montre fièrement un article de la Provence qui explique que la chaîne de fast-food Quick s’est mise à la viande hallal : “Vous voyez, on avance” ! Autre génération, autre vision.
Marseille, la 49e wilaya
Dans les entrailles réaménagées de la mairie de Marseille, le défilé commence. Ceux des Français d’origine algérienne, entre associatifs, militants, élus locaux, entrepreneurs ou universitaires qui vivent la relation algéro-française au quotidien. Et comme il se doit, ils la vivent mal.
Et comme pour souligner le débat de l’heure. On commence par le plus urgent ! La mosquée de Marseille qui focalise les attentions et les polémiques. Amri, de l’association de la mosquée, qui a à peine le sens de l’exagération, souligne que la mosquée de Marseille est “attendue depuis un siècle”, qu’elle va coûter 22 millions d’euros et que le gouvernement français ne veut d’un financement d’un pays musulman qu’à hauteur de 25%. L’Arabie Saoudite, le Maroc, l’Algérie et la Turquie ont fait des promesses de “dons”, mais sans suite.
Intervient alors l’imam… Ghoul. Un nom qui à le chic pour me mettre sur la défensive. Ghoul indique que ce projet va permettre à l’islam “de France” à sortir “des garages et des caves” et qu’il veut éviter “la mainmise” d’un pays étranger. Pourtant, la mosquée de Cannes a été construite avec un don de 1,5 million d’euros du P-DG de la chaîne Iqra. Des histoires de minarets et de gros sous qui ne sont pas lointaines de celles de la Grande mosquée d’Alger.
Place aux chercheurs et aux militants associatifs. Le chercheur Chachoua a des mots durs pour définir la relation Algérie-France et n’exclut pas sa “dimension historique”. “Nous sommes les petits-enfants de la colonisation (...) L’intégration est un terme ambigu pour remplacer l’assimilation. Ce terme qui n’est plus opérant traduit l’inachevé.” Et de conclure : “On ne peut pas avoir deux terres, deux sangs, deux pays.” Le propos rebondit indéniablement sur ces jeunes Franco-Algériens qui se sont livrés à la casse à Marseille après les matchs Algérie-Égypte, ce qui a fortement choqué l’opinion publique française : “Les drapeaux algériens après la victoire sont révélateurs de la dégradation du sentiment d’appartenance à la France.” Une phrase de Malraux me taraude les concernant : “Ce pays qu’on quitte mais qui ne quitte jamais.”
Je ne sais quel malheureux journaliste tente de savoir ce que fait l’Algérie, à travers le ministre de la Solidarité Djamel Ould-Abbès, pour les Algériens de l’immigration : “Il y a quatre députés indignes du métier politique. Ils ne savent rien. On ne sait pas ce qu’ils font.” Je me dis que ces Algériens, fiers de leur patrie d’origine, n’ont pas dû être invités aux colloques d’Ould- Abbès à… Djenane El-Mithak.
Sabeg défend le patron Retour à Paris.
Restaurant Chez Françoise. Salle des Premiers ministres. Sur les murs, des caricatures de Chirac, Balladur, Rocard ou Juppé. On attend sagement Yazid Sabeg. Les viennoiseries aussi. Mine patibulaire, pas d’une première fraîcheur, le commissaire à la diversité et à l’égalité des chances débarque pour le café. Un personnage qu’on reconnaît à sa taille XXXL et dont l’intelligence est proportionnelle. “On vit une pause dans les relations algéro-françaises. On a toujours besoin l’un de l’autre. Mais le facteur historique pèse beaucoup sur la relation (…) Il faut arriver à ce qu’il ait un geste fort comme dans le couple franco-allemand”, indique le commissaire pourtant connu pour être fort en gueule mais qui choisit ses mots. Le café commençant à faire son effet, Sabeg, homme d’affaires à succès, déploie le verbe de celui qui ne doit rien à personne : “Il n’y a pas de sujets qu’on ne puisse pas dépasser” ; et définit l’axe d’effort sur la mémoire : “Il faut que la France fasse un geste très fort, comme avec l’Allemagne. Dans le cas de ce projet de loi, il y a aussi les plaintes des pieds-noirs et des harkis qui ont des choses à dire. À travers l’amnistie, cette affaire a été soldée sur le plan juridique. Il reste le plan politique. Il n’y a pas de sujets sur lesquels on ne peut pas dialoguer.” Sabeg clôt en une phrase la polémique naissante entre Alger et Paris avant de se lancer dans un éloge à celui qui l’a nommé : “Le président Sarkozy est très attaché à une relation de confiance avec Bouteflika mais il n’est ni un acteur ni un témoin de la guerre d’Algérie et de ce fait, il est une page blanche complètement vierge sur cette histoire.” En un mot, il faut chercher le responsable de la crise “historique” ailleurs qu’au palais de l’Élysée.
Paris fauché attend les sous d’Alger
Thomas Courbe travaille aux finances à Bercy. Il est le directeur chargé des relations internationales. Il a une chemise à carreaux. Courbe sort des graphiques. Cela ne s’invente pas : “Comparativement à la Chine, l’Espagne ou l’Italie, la France reste le premier partenaire, mais il y a un très fort rééquilibrage depuis 2005. Marché absolument stratégique. La concurrence est très rude, notamment en projets intensifs en main-d’œuvre.”
Son assistant, qui s’occupe de l’Algérie, a également une chemise à carreaux. Plus petits, les carreaux. Il paraissait tellement jeune qu’on aurait dit qu’il est né avec la dernière crise financière. Il ne parle pas, il murmure. Une discrétion qui semble contaminer tous les acteurs économiques français qui multiplient les précautions pour ne pas altérer une relation économique problématique. Qu’en est-il de la LFC 2009 : “De manière globale, les importations ont été très freinées. Ce qui était le but (…) Les mesures prises sont comprises à Paris.”
Dans l’antre de l’économie française, je sens monter un indescriptible sentiment de fierté nationale lorsqu’on aborde les fameuses lignes de crédit françaises qui n’ont plus lieu d’être. D’un côté, un plan de relance de l’économie française à 26 milliards d’euros. De l’autre, une cagnotte algérienne de 150 milliards de dollars juste pour 2010. Une situation que nous confirment les deux experts : “L’État algérien n’aura pas besoin de financements extérieurs. Votre Banque centrale a un niveau de réserves très élevé.” Et de conclure qu’Alger peut même acheter des bons de Trésor français sous forme d’obligations. J’ai failli chanter Qassaman.
El-Mouradia, version parisienne
La barrière se lève. On est en zone protégée. Les alentours du palais de l’Élysée sont décrétés quartier où l’on ne doit pas trop flâner sous peine de sanctions pénales. On n’est pas trop dépaysé du fait que le palais d’El-Mouradia est tout aussi protégé. En descendant du Van, on a le malheur de se tromper de trottoir. Un policier très remonté vient nous remettre sur le bon côté. On ne badine pas avec la sécurité. Dans une salle à manger royale, un diplomate de la cellule élyséenne nous reçoit. Il avait fait l’Algérie, pas la guerre, mais l’ambassade, vingt ans auparavant, et fait partie du groupe de sherpas qui conseillent Sarkozy. D’emblée, il qualifie la liste noire, l’affaire Hasseni et celle des moines de Tibhirine de “petits parasites”. “Des irritants”, mais indique que “les deux présidents savent que la relance est tellement prépondérante. Ils ne peuvent pas mettre en péril cette relation”.
Concernant l’action des députés algériens, le diplomate plaide l’ignorance : “Pas de matière pour en parler. L’avant-projet de loi a été transmis, est-ce que la loi va être votée ? On n’en sait rien, et le processus est loin d’être achevé. On n’a pas de commentaires à faire. Certains députés français se sont émus. Vous ne pouvez pas réagir à quelque chose qui n’existe pas. Le gouvernement en Algérie a son mot à dire sur le devenir, qui doit passer par des stades et des étapes. Que veulent-ils ? Criminaliser les actes, des individus ? On n’en sait rien.”
Qu’en est-il de la visite de Bouteflika à Paris, évoquée depuis une année ? “Nous, on n’est pas fâchés. Il est le bienvenu à tout moment avec un léger préavis. Nous le recevrons avec plaisir.” Un message qu’a dû transmettre le secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant, et le conseiller diplomatique du président français Nicolas Sarkozy, Jean-David Levitte, dont la visite n’a pas été annoncée.
On sort en file indienne comme des demandeurs d’asile qui se font reconduire à la frontière. Entre nous, on discute, on analyse, on tente de synthétiser une semaine de rendez-vous. Une semaine de mots qui partent dans tous les sens dès qu’il s’agit de parler de l’Algérie et la France. Ou de l’Algérie contre la France. Paradoxalement, je me suis mis à parler comme tout ce beau monde avec des poncifs bien rodés genre : “On est des voisins et personne de nous ne peut déménager”, “on est condamné à s’entendre” ou encore “notre relation a toujours été passionnelle”. Je comprends que j’ai passé trop de temps à Paris. Il faut qu’on rentre chez nous. Il est vendredi et dans cette grisaille parisienne, il est rare de distinguer un rayon de soleil optimiste pour l’avenir. On annonce du mauvais temps pour un mois supplémentaire à Paris. En Algérie, l’hiver colonial a tout de même duré 132 ans.
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