Le mouvement de contestation en égypte a appelé, hier, à une “marche de un million” de personnes pour aujourd’hui, pour acculer le raïs dans ses derniers retranchements et l’obliger à quitter le pouvoir auquel il s’accroche bec et ongles.
La grève générale, qui a débuté hier dans les villes industrielles et à Suez, le centre de contrôle du canal par où transite, entre autres, l’or noir destiné aux économies occidentales, sera étendue ce matin à toute l’égypte. “La grève durera jusqu’à ce que nos demandes soient satisfaites”, ont déclaré ses organisateurs. Et plus que tout le reste, la société civile s’organise en coordinations et en comités de défense contre les pillages et les casses. L’après-Moubarak est en marche. Une population qui défie le couvre-feu pour revendiquer le départ de Moubarak et une armée qui assume de plus en plus difficilement la neutralité qu’elle s’est donnée depuis qu’elle a été appelée à la rescousse. Le syndrome tunisien, mais la comparaison s’arrête aux revendications et au mode opératoire des manifestants. En égypte, l’armée gère directement la superstructure du pouvoir, même si Moubarak est encore montré comme le président avec toutes ses prérogatives. Pour l’heure, et grâce certainement aux soutiens de puissances occidentales, d’Israël et de monarchies du Golfe, le raïs est encore raïs. La question est pour combien de temps ? Les militaires, qui ont pris en main les choses, ne l’ont-ils pas, d’ores et déjà, poussé sur le palier de la porte de sortie. Et puis, ce n’est pas pour rien si Washington hausse de nouveau le ton, après l’avoir contraint à la solution militaire. Obama et Hillary Clinton sont revenus sur leur déclaration apaisante sur le régime Moubarak. Celui-ci est désormais sommé de respecter le droit aux libertés de ses concitoyens et d’ouvrir le dialogue avec l’opposition. Washington semble moins empêtré dans ses ambiguïtés que durant les journées de samedi et dimanche. C’est que les manifestants égyptiens n’ont ni baissé les bras ni accordé le crédit escompté à l’armée. Moubarak et même la hiérarchie militaire, qui avaient pensé que le mouvement s’essoufflera, ont vu tout faux.
Les égyptiens sont dans la rue depuis huit jours et ont réussi le tour de force de coordonner leurs forces. L’opposition divisée et émiettée par Moubarak s’est dotée, dans la nuit de dimanche à lundi, d’une coordination, regroupant également les Frères musulmans qui ont pris le train en marche. El-Baradeï, ex-patron de l’AIEA, a été désigné comme le représentant des manifestants pour tout dialogue avec le pouvoir. Le prix Nobel, qui avait condamné l’entrée en lice de l’armée dans le jeu égyptien, y dénonçant un complot visant à maintenir au pouvoir Moubarak, exige aujourd’hui des négociations avec les autorités de fait, à savoir avec l’armée. Celle-ci est également le nez au mur. Les concessions successives de Moubarak, en fait de la hiérarchie militaire, n’ont pas bougé de ligne chez les manifestants. Le patron des services secrets en qualité de vice-président ! La stratégie du statu quo fortement insufflé par Washington, Israël et les monarchies du Golfe n’a pas répondu aux vœux des égyptiens, au point que plusieurs pays, à leur tête les États-Unis, organisent, depuis dimanche, le rapatriement de leurs ressortissants. C’est le signe que la situation peut se retourner sinon dégénérer à tout moment. Le peuple égyptien a franchi le mur de la peur, tout comme celui de la Tunisie et dont la fermeté a payé sur deux tableaux : le départ de Ben Ali et son assignation à la justice pour rendre des comptes et l’établissement d’un processus de transition accepté par les principaux acteurs de la Révolution du Jasmin. Les égyptiens n’en attendent pas plus, ils s’en tiennent à leur slogan “Moubarak dégage !”
Parti de Tunis, ce mot d’ordre fétiche, simple, sans fioritures ni arrière-pensées idéologiques, est dans la tête — et la bouche — de tous les peuples arabes, du golfe persique à l’océan Atlantique. C’est le slogan d’un véritable printemps arabe, prédisent les politologues. Il reste tout de même la voie pacifique à laquelle prie la rue égyptienne. La balle est dans son camp. Par ailleurs, la formation d’un nouveau gouvernement avec de nombreux ministres reconduits, à l’exception notable de celui de l’Intérieur, Habib el-Adli, dont les manifestants réclamaient le départ, n’a pas répondu aux attentes. Autre changement, le gouvernement ne comprend aucune personnalité du milieu des affaires, considéré comme proche du fils du président Hosni Moubarak, Gamal, très conspué lui aussi lors des manifestations qui secouent le pays depuis une semaine. Aujourd’hui sera une longue journée pour Hosni Moubarak.
D. Bouatta