FRANÇOIS MASPERO, L’ÉDITEUR ENGAGÉ N’EST PLUS
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Anticolonialiste et fervent humaniste
François Maspero, l’éditeur engagé n’est plus
le 14.04.15 | 10h00
Ecrivain, journaliste, traducteur, éditeur, le défunt François Maspero a été un des fervents défenseurs engagés pour l’indépendance de l’Algérie.
L’éditeur anticolonialiste, François Maspero, est décédé samedi à Paris, à l’âge de 83 ans. Celui qui édita, malgré la menace et de nombreuses inculpations et saisies, livres et revues dénonçant l’ordre colonial français en Algérie, s’en va discrètement comme il l’aurait souhaité.
Ecrivain, journaliste, traducteur, éditeur, François Maspero a été un des fervents défenseurs engagés pour l’indépendance de l’Algérie.
Ne se suffisant pas à éditer des pamphlets et des livres contre la colonisation française, Maspero, appelé aussi «Masp», a été membre du réseau Jeanson (les porteurs de valises) et a été passeur de frontières. «A un moment donné, j’ai été convoqué par la Fédération de France du FLN, qui était en Allemagne, où on me dit : ‘‘Ça suffit comme ça, car si tu fais de l’édition d’un côté et tu fais aussi passer des frontières, ça va être dangereux pour toi et on finira par faire le lien’’», confiait-il dans un entretien à Mediapart.
Il publia les livres de Fanon, dont L’an V de la révolution algérienne qu’aucun autre éditeur n’a voulu publier par crainte de représailles. Et coucha sur papier la revue clandestine de Francis Jeanson, Vérité pourpre. Il a été l’un des signataires du Manifeste des 121 et fut inculpé, car soupçonné d’en avoir permis l’édition, ce qui n’était pas vrai. «J’ai commencé à éditer des livres, qui ont été interdits, sur la guerre d’Algérie, dont ceux de Frantz Fanon. Des livres qui m’ont valu beaucoup d’inculpations et de comparutions devant la justice.
J’ai même été inculpé devant le tribunal militaire pour incitation littéraire à la désobéissance et la désertion et injures envers l’armée», confiait-il encore. Des poursuites qui n’ont pas ébranlé l’engagement du jeune éditeur en faveur de l’indépendance de l’Algérie qui s’obstina à rééditer les livres interdits. Outre l’édition, l’engagement de Maspero s’est aussi manifesté à travers l’écriture. Il parle des enfumades et condamne la barbarie coloniale dans son livre L’Honneur de Saint-Arnaud, où il raconte l’histoire d’un maréchal français qui aimait brûler les villages et pratiquer toutes les ignominies.
Pour François Maspero, l’engagement ne se borne pas à l’indignation ou à la signature de pétitions, il est dans l’action et la prise de risque. Après l’indépendance de l’Algérie, il agrandit sa librairie et en fit le lieu de rencontre des militants de gauche et des esprits indépendants en France.
Ses positions lui valent une série d’amendes, d’inculpations, de condamnation et même de privation de droits civiques. Maspero a voulu que sa maison d’édition soit un passeur d’idées et elle le fut. Il voulait en faire un moteur d’éclairage et de sensibilisation à l’adresse des citoyens pour qu’ils ne soient pas en marge des bouleversements politiques, culturels, sociaux et économiques. De la première idée d’éditer des recueils de poésie à celle d’en faire une librairie engagée pendant la guerre d’Algérie, la Librairie Maspero a marqué incontestablement, grâce à son concepteur, le paysage intellectuel français.
«J’ai des sentiments extrêmement simples de révolte et d’indignation. La dérive libérale est la plus terrible des utopies. Elle est aussi plus terrifiante que d’autres, car on n’en voit pas la fin. Je crois donc à la lutte, sinon il n’y a plus d’histoire et peut-être plus d’humanité», disait l’éditeur et intellectuel engagé. Les éditions Maspero ont été reprises en 1982 par François Geze pour devenir les éditions La découverte.
Nadjia Bouaricha
Ben Jelloun - Mort de Maspero : mon ami François
Le Point - Publié le - Modifié le
François Maspero fut le premier éditeur de Tahar Ben Jelloun. L'écrivain et académicien Goncourt se souvient... Et tient à dire merci à son ami.
La dernière fois que j'ai vu François Maspero, ce fut lors d'une manifestation contre le Front national. Il fut mon premier éditeur et nous étions devenus amis. C'était une amitié platonique. Nous nous voyions peu, mais chaque fois, c'était intense et vrai. C'était un homme timide mais qui ne cachait pas ses convictions et ses combats. Plus qu'un éditeur, c'était un créateur, un artiste qui avait le sens de l'histoire, qui avait connu les imbécillités de la censure, la répression et les difficultés qu'on lui créait pour barrer la route à ses éditions. Ses deux librairies La Joie de lire situées en plein Quartier latin ont joué un rôle important dans le mouvement des idées et la réflexion sur l'époque. Il n'avait jamais consenti à faire appel à la police pour faire cesser le vol de ses livres. Certains en abusaient et allaient revendre les ouvrages volés dans la cour de l'université de Vincennes. Cela le chagrinait, mais il ne pouvait pas faire autrement.
Il s'était battu pour ses idées, pour donner à l'édition un visage progressiste, ouvert sur le tiers-monde, sur les révolutions en marche, sur le processus de décolonisation. Grâce à Fanchita, son épouse à l'époque, il permit à des poètes d'Amérique latine, d'Espagne, du Maghreb et de bien d'autres pays de se faire publier dans la collection "Voix". Il accompagnait par ailleurs les mouvements de l'anti-psychiatrie, de la nouvelle éducation et de tout ce qui à l'époque tendait vers un monde neuf.
Ce qu'il aimait le plus : écrire et traduire
Un jour, après être passé par un moment difficile sur le plan personnel, il quitta les éditions Maspero et céda le tout à d'autres compagnons. Ainsi, les éditions François Maspero devinrent les éditions La Découverte. À partir de ce moment, il se consacra à ce qu'il aimait le plus, écrire et traduire. C'était un écrivain d'une grande sensibilité. Il fut un scrutateur de la vie des gens de peu, les laissés-pour-compte. Il voyageait et racontait ce qu'il découvrait toujours avec un oeil humain, avec tendresse et émotion. C'était un juste, un homme animé par la même curiosité, la même humanité qu'à ses débuts d'éditeur.
C'est dans sa maison qu'est paru mon premier recueil de poésie. Il a publié tous mes poèmes sans jamais parler de rentabilité. Un jour, je lui ai proposé mon premier essai sur la misère sexuelle et affective des immigrés maghrébins. Il fut bouleversé par ce texte. Il m'appela et me demanda de passer le voir. Il était triste, désemparé. Il me dit : "Je ne peux pas le publier, ne me demande pas pourquoi." Le livre sera édité par Le Seuil. Et nous étions restés amis. J'ai du chagrin parce que je n'ai jamais pu lui dire "merci". Il ne laissait pas à ses amis l'opportunité de le remercier. Il était ainsi, un homme de qualité, un homme d'une grande générosité.
Biographie et informations
Nationalité : France
Né(e) à : Paris , le 19/01/1932
Mort(e) à : Paris , le 11/04/2015
François Maspero (né en 1932 à Paris) est un écrivain et traducteur français. Il a également été éditeur, libraire et directeur de revues.
L'adolescence de François Maspero est marquée par l'engagement de sa famille dans la Résistance. Son père, Henri Maspero, sinologue et professeur au Collège de France, est arrêté en 1944 et meurt au camp de concentration de Buchenwald. Son frère est tué au combat en 1944. Sa mère, auteur d'études sur la Révolution française, est déportée au camp de Ravensbrück mais y survit.
En 1955, à vingt-trois ans, François Maspero devient libraire dans le Quartier latin. Il crée en 1959, en pleine guerre d'Algérie, Les Éditions Maspero, engagées à gauche. Maspero se consacre à l'édition jusqu'au début des années 1980. En 1978, il fonde la revue L'Alternative qu'il dirigera jusqu'en 1984, pour donner la parole aux « dissidents » des pays du « socialisme réel ».
En 1982, après une nouvelle période difficile, il décide de passer la main à une nouvelle équipe dirigée par François Gèze. Il démissionne sans indemnités et cède ses parts à ce dernier pour 1 Franc symbolique. À cinquante ans, il quitte ses éditions qui prennent le nom de La Découverte. Il n'aura désormais plus aucune relation avec celles-ci.
À partir de 1984, François Maspero se consacre à l'écriture et publie Le Sourire du chat. Ce roman, qui se déroule de l'été 1944 à l'été 1945, s'appuie largement sur une expérience autobiographique. Le suivant, Le Figuier, couvre la période 1960-1967, évoquant l'ambiance de la guerre d'Algérie et l'engagement dans les mouvements de libération d'Amérique latine.
Il effectue pour Radio-France des reportages tels que « Cet hiver en Chine » en 1986. En 1989, il fait avec la photographe Anaïk Frantz un « voyage au long cours » sur la ligne B du RER parisien, Les Passagers du Roissy-Express. En 1995, Balkans-transit, en compagnie du photographe Klavdij Sluban, résume cinq ans de voyages entre la Mer Adriatique et la Mer Noire.
Les personnages de ses livres de fiction se retrouvent tous dans son dernier livre, Le Vol de la mésange, traversée d'un demi-siècle et interrogation sur le sens du témoignage. Sa chronique de la conquête de l'Algérie, L'Honneur de Saint-Arnaud, est publiée à Paris et à Alger. Autre chronique historique, L'Ombre d'une photographe, Gerda Taro, fait revivre la compagne de Robert Capa morte à 27 ans devant Madrid en 1937.
Les Abeilles et la guêpe est plus directement autobiographique.
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