La Maison jaune
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Cultures - Article paru
Amor Hakkar « La mort de mon père est venue à mon secours »
Amor Hakkar « La mort de mon père est venue à mon secours » Locarno et que ceux qui l'ont vue en sont sortis touchés. On a bien le souvenir lointain d'un premier long métrage d'Amor Hakkar il y a quinze ans, Sale temps pour un voyou, qui réunissait Pierre-Loup Rajot, Sylvie Fennec et Serge Giamberardino dans une histoire de jeunes paumés où l'un faisait un casse pour payer une sono à sa copine, mais bon. Le noir se fait, la séance commence et là, crac, l'émotion, face à une réalisation aussi belle que dénuée d'artifices. À la sortie, l'auteur est dans la rue, tels ces débutants nerveux qui scrutent les visages alors que la salle se vide. Pas difficile à identifier puisqu'il tient le rôle principal de son film. Direction le café du coin. Amor Hakkar est né en 1958 dans un village des Aurès. Alors qu'il a six mois sa famille vient s'installer à Besançon, où lui demeure. De formation scientifique, il se passionne pour le cinéma et l'écriture, ce qui le conduit, en 1990, à réaliser un court métrage, Apprends-moi à compter jusqu'à l'infini. Comment en êtes-vous venu à réaliser la Maison jaune ? Amor Hakkar. J'ai commencé à faire du cinéma en 1992 avec mon premier film Sale temps pour un voyou. Puis je suis resté de longues années au RMI, mais sans jamais vouloir renoncer au cinéma. J'ai perdu mon papa en 2002, qui voulait être enterré dans les Aurès. On m'a dit de le ramener en Algérie et de m'occuper de l'enterrement. C'est à cette occasion que j'ai eu envie de retrouver mon pays et c'est ainsi que je me suis mis à écrire la Maison jaune, imprégné de mes souvenirs. Voilà un peu la genèse du film. La mort de mon père est venue à mon secours. À partir de là, j'ai abordé ce nouveau film sans aucune pression mais avec mon simple désir de le faire, ma volonté d'aller vers les gens. Tout s'est fait conformément à cette idée, le tournage, le montage, la musique, tout. Le scénario a été écrit en 2005. Cela n'a pas dû être simple… Amor Hakkar. Le budget est de 520 000 euros. J'ai eu le soutien de la région de Franche-Comté, où je résidais, dont la commission du film est présidée par Pierre Arditi, puis le Fonds Sud, présidé par Rithy Panh. Ensuite, en Algérie, le ministère de la Culture nous a beaucoup aidés. C'est un film majoritairement français mais tourné en langue berbère. Seules les autorités parlent arabe. Cela m'a été demandé et j'ai accepté car cela ne nuisait pas au scénario. Comme les gendarmes en France, les policiers là-bas viennent de régions très différentes et ne sont donc pas censés parler le berbère. Le film a été présenté en Algérie lors d'avant-premières mais il n'est pas encore sorti en salles. Où avez-vous trouvé les comédiens ? Amor Hakkar. La seule professionnelle est Tounès Ait-Ali, qui joue la maman. C'est une actrice kabyle, connue essentiellement au théâtre. Tous les autres vivent dans les Aurès. On a longtemps cherché pour les trouver. Certains jouent ce qu'ils sont dans la vie, comme le chauffeur de taxi qui était celui qui transportait les enfants, l'infirmier à la morgue. Avec les autres s'est établie une relation de confiance. Quelle était votre envie ? Amor Hakkar. Je n'avais pas envie de faire un film sur le terrorisme, l'islamisme, les violences faites aux femmes… Je voulais m'intéresser aux gens simples, à l'être humain, à la souffrance, à la mort. Mon personnage est un analphabète frappé par le deuil qui va devoir apprendre à se reconstruire et à trouver le bonheur. Le film part du scénario dont je suis l'auteur. L'idée en est : comment permettre à sa femme de retrouver le sourire. Parfois, dans un couple, quand ça ne va pas très bien, on déplace les meubles ou des choses comme ça. Moi, illettré dans mon village de montagne, j'ai l'idée de repeindre la maison en jaune. Y a-t-il des influences ? Amor Hakkar. J'ai été très influencé par le néoréalisme italien, comme par les films d'Abbas Kiarostami. Je me sens proche des êtres, je viens de ce milieu et c'est cela que je connais le mieux. Des petites gens peuvent vivre des choses très grandes. Ici, cet homme va déployer une énergie fantastique pour que sa femme retrouve le sourire. Chacun est très bon dans votre film. Fable ? Réalité ? Amor Hakkar. Oui, les gens sont très gentils, c'est un choix volontaire. Quand on est frappé par le deuil, il existe encore un peu de respect. Le film est tourné dans une région où les rapports économiques sont violents, la vie est dure, mais il reste cela et, à cause de cela, on peut encore croire en l'être humain. Pour moi, c'est très important. Le taxi est bénévole. Il se porte au secours de l'autre. Oui, il ne faut pas désespérer de tout. Quand au maire qui n'a pas le temps de me recevoir, c'est une critique, mais pas forcément virulente. C'est pour dire que les gens les plus simples sont parfois aussi délaissés. Hélas, le film reste une fiction, mais qui ouvre la possibilité de croire à la possibilité d'un monde meilleur. Moi, à quoi me sert le cinéma ? À rêver qu'on pourra un jour retrouver ce rêve dans la réalité. C'est le film que nous avions envie de faire, qu'on a produit et distribué nous-mêmes. Pour montrer qu'à côté des grosses productions ces films peuvent exister aussi malgré tout. Il faut suivre sa ligne, ne pas céder à la tentation, être fidèle à la parole donnée, montrer du respect. On a expliqué aux gens ce qu'on allait faire, on l'a fait et ils ont vu le film. Des projets ? Amor Hakkar. Mon prochain film, qui s'appelle Quelques jours de répit, va être tourné en Franche-Comté. C'est l'histoire de deux clandestins, d'un couple d'intellectuels homosexuels iraniens qui va croiser une dame très simple un peu paumée. C'est l'histoire d'une rencontre improbable mais, au cours de ces quelques jours de répit, il va se passer des choses entre ces trois personnages. Entretien réalisé par Jean Roy
"Un itinéraire de deuil simple et digne, interprété avec justesse. Beaux visages. Beaux silences. Belles musiques." "Le réalisateur Amor Hakkar, originaire des Aurès, nous propose (...) une fable humaniste, épurée et émouvante, qui résonne comme un chant d'amour à sa terre natale." "Une oeuvre lente, épurée, fraternelle, qui réussit l'exploit, sur pareil sujet, de ne jamais verser dans le chantage à l'émotion. (...) il y a des remèdes à la médiocrité; comme ce film." "L’auteur de La Maison jaune, nous montre une Algérie empreinte de bonté en un film sensible tourné avec le cœur." "Poétique, ce film délicatement ourlé est une succession de tableaux émouvants (...) un petit bijou d'humanité." "Le spectateur se sent comme un ami de la famille, ému." "Petit conte naïf sur la perte et la persévérance, "La Maison jaune" montre avec pudeur et tendresse une région miséreuse mais solidaire." "Tout ce que le réalisteur de ce film doux et déchirant veut, c'est montrer que la dignité, la compassion, la solidarité sont le dernier rempart contre cette mort lente qu'est la misère.
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