On n’a pas de tourisme !

Je suis très embêté ! Mais alors, vraiment très très embêté ! J’ai cru comprendre que l’heure, l’heure algérienne n’était plus à la stigmatisation des islamistes. J’ai même ouï-dire que des confrères du «service public du Palais» avaient reçu consigne de ne plus prononcer le mot «islamistes» à l’antenne très rigide et très galvanisée du système. Mais alors, comment nommer le mec qui vient de se faire exploser à l’intérieur du baraquement de gendarmerie de Tamanrasset ? Quel nom donner à ceux qui lui ont accroché la ceinture d’explosifs à la taille et au torse ? Je me creuse la tête depuis un moment, et je dois bien l’avouer, je ne trouve pas. La gendarmerie de Tam aurait-elle été victime d’un commando de coccinelles-vampires, une espèce en voie de réapparition et portée là, à l’extrême Sud algérien par des vents contraires ? Ou alors, les gendarmes auraient-ils été victimes de criquets pèlerins eux-mêmes la proie d’une étrange et dangereuse mutation génétique due à l’absorption massive de pesticides Monsanto ? Cet attentat ne serait-il pas plutôt l’œuvre de la dérive des continents qui aurait provoqué collatéralement une friction accentuée des plaques tectoniques situées juste sous les dunes environnant l’Ahaggar, et cela sous l’effet d’une attraction lunaire accélérée par l’approche de la date du 10 mai, un jour maudit dans le calendrier des Mayas du califat de M’cirda ? Ou peut-être que cette attaque contre une gendarmerie saharienne ne serait finalement que le fruit du gaz de schiste, un gaz jusque-là pépère, que personne ne dérangeait et qui s’est soudain vu bousculé dans sa quiétude séculaire par l’enthousiasme débordant de Youcef Yousfi, le ministre énergisant du régime, le Red Bull d’un gouvernement apathique ? Au plus fort de cette réflexion intensive, je n’éprouve finalement qu’une seule satisfaction, celle de n’avoir pas prononcé ni écrit une seule fois le mot «islamistes». Si l’on excepte bien évidemment cette seule occurrence, celle que je viens de commettre à l’instant. Mais les autorités feront preuve de mansuétude envers moi, j’en suis convaincu. Elles comprendront que si j’ai enfreint la règle, c’est juste pour mieux démontrer que je la respecte scrupuleusement. Quand j’écris «islamistes», c’est pour expliquer que je m’interdis d’employer ce mot banni. Sinon, bien évidemment, je ne me serais jamais permis d’écrire «islamistes», étant entendu que ce vocable d’«islamistes» est désormais persona non grata dans le bréviaire des journalistes qui se respectent un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ! Et je m’engage d’ailleurs ici, solennellement, devant vous, chers lectrices et lecteurs, à ne plus écrire «islamistes ». Qui a alors explosé la gendarmerie de Tam ? Je ne sais pas pour vous, mais moi, la thèse des coccinelles, ça me paraît très probable. Un peu plus probable tout de même que celle des criquets dopés au Monsanto. Il ne manquerait qu’en plus du régime, je me mette aussi à dos le lobby des pesticides ! Je fume du thé et je reste éveillé, le cauchemar continue.
H. L.