Tout bas, tous les acteurs de la vie éducative sont scandalisés. Un enseignant d’Alger est allé jusqu’à dire que «ce qui se fait actuellement au niveau de l’école s’apparente à un véritable plan de destruction, un plan de sape établi pour abrutir nos enfants». Les dysfonctionnements sautent aux yeux. A commencer par le préscolaire. Il n’est dit nulle part que cet enseignement est obligatoire.
Censé être généralisé pour les enfants dont l’âge varie entre trois ans et six ans, l’enseignement préscolaire ne se résume en fait qu’à l’année préparatoire. Et encore ! Des milliers d’élèves n’y ont pas encore droit. Du coup, on assiste à une école à deux vitesses. Des enseignants, on ne sait pour quelle raison, ne prennent pas en considération cette situation et dispensent des programmes qui font fi des besoins de ceux qui n’ont jamais fait d’année préparatoire. Et ce n’est un secret pour personne aujourd’hui, le secteur de l’éducation ne dispose ni de structures pouvant accueillir les élèves ni de formateurs, en quantité et en qualité, pour dispenser l’enseignement préscolaire.
La première faille se situe donc incontestablement à ce niveau. Devant une situation aussi préjudiciable pour les élèves, les responsables du secteur semblent adopter la politique de l’autruche. Ce n’est pas l’unique problématique que pose l’enseignement en Algérie : méthode et contenus. La stratégie de l’enseignement et de l’éducation nationale est un véritable ovni (objet volant non identifié). On a tout essayé. L’école algérienne est devenue un interminable laboratoire où l’on a tenté plusieurs expériences sans en réussir aucune. La dernière en date c’est évidemment la méthode dite «approche par les compétences».
Un enseignant du secondaire, nouvellement recruté, avoue ne rien connaître de cette approche. Un autre, rencontré à Alger, critique les programmes confectionnés par la tutelle et souligne toute la difficulté de les transmettre aux élèves.
Les différentes réformes, menées depuis presque deux décennies, de l’avis de beaucoup d’observateurs et de spécialistes de la question, ont conduit des générations droit dans le mur. Des parents d’élèves n’arrivent pas à donner un sens à la charge de travail à laquelle sont soumis leurs enfants, et encore moins à la nouvelle méthode d’enseignement.
Certains que nous avons rencontrés, ceux qui ont leurs enfants dans le primaire, se plaignent du fait qu’ils se retrouvent à refaire les cours dans la soirée. Une parente d’élève en a par-dessus la tête. Elle dénonce le volume des programmes et le nombre incalculable de devoirs qu’on donne à son fils à la maison.
A ce rythme, les enfants ne peuvent qu’être saturés et détesteront à coup sûr une école qui les fatigue. Pour les érudits, cela s’appellerait l’approche par compétences (APC), qui oblige l’apprenant – on ne parle plus d’élève font remarquer des spécialistes – à apprendre de lui-même.
La méthode est née aux Etats-Unis avant d’être adoptée, quelques années après, dans certains pays européens. Et beaucoup parmi ces derniers l’ont limitée au stade expérimental, sinon cantonnée dans le secteur de la formation professionnelle avant de l’abandonner tout simplement. En Algérie, elle a été généralisée au premier coup d’essai. L’échec est patent. Au-delà même de cette histoire de méthode, le constat est sans appel : la qualité de l’enseignement laisse à désirer.
Les élèves sortent de l’école avec de sérieux handicaps de langues, des analphabètes trilingues, comme on les désigne, et avec de sérieux manques dans beaucoup de matières.
Les statistiques présentées par des syndicats indiquent qu’à l’issue des examens du premier trimestre de l’année en cours, les résultats dans les matières scientifiques, les mathématiques et la physique sont catastrophiques. Un ancien enseignant à Alger soutient que la méthode globale, au lieu de l’ancienne approche dite méthode syllabique, adoptée pour l’enseignement des langues, est en décalage avec nos réalités sociales. Cela est valable pour les langues nationales et les langues étrangères.
Quand la régression obéit à une politique !
Un autre enseignant évoque, lui, la méthode mixte. Un troisième affirme qu’en réalité aucune méthode n’est maîtrisée et lance avec beaucoup d’ironie que celle qui est en vigueur s’appelle «la méthode débrouille-toi !». Un prof de physique dans un lycée à Tizi Ouzou questionné sur la méthode de l’approche par les compétences pour savoir si elle constituait un problème pour l’enseignement, a répondu : «Ce n’est pas un problème de méthode mais de compétences.» Selon lui, «les enseignants en général sont issus de cette pseudo école qui a échoué». Il explique : «La méthode se résume à ne pas dispenser des cours comme avant, elle suppose que les parents sont instruits, qu’ils sont connectés à Internet et que les élèves peuvent faire eux-mêmes de la recherche.» A la question de savoir si cette manière d’enseigner colle à notre réalité, l’enseignant de physique soutient : «Bien évidemment non pour la majorité des élèves. La raison est que ces derniers doivent apprendre d’eux-mêmes.» En ont-ils les moyens ?
Ce n’est pas évident. En 2008, lorsque le ministère s’apprêtait à appliquer cette approche au niveau du secondaire, les lycéens sont sortis dans la rue. Le département de Benbouzid a été obligé de calmer le jeu en répondant favorablement à leurs doléances. Leurs ardeurs calmées, le ministère revient à la charge et c’est elle qui est en vigueur dans nos écoles. Pour ce qui est de l’enseignement des langues, notre interlocuteur trouve logique que les élèves n’aient la maîtrise que de la langue arabe, en raison du volume horaire qui lui est consacré. L’enseignement des langues étrangères n’est en réalité qu’accessoire. La preuve, dans plusieurs wilayas, le département de Benbouzid n’a pas encore, à l’entame du deuxième trimestre, pourvu des milliers d’élèves d’enseignants de français. On n’est pas, en effet, au premier dysfonctionnement du système éducatif. Des enseignants du primaire, préférant garder l’anonymat, parlent carrément de contradictions, même entre le manuel scolaire et les programmes qu’on leur demande.
C’est le cas par exemple pour les maths en troisième année primaire. Plus que cela, et de l’avis de beaucoup d’enseignants avec qui nous nous sommes entretenus, «les cours de langue arabe, plus précisément ceux concernant la grammaire, sont de plus en plus compliqués pour le cerveau d’un petit enfant. On sert aux écoliers des cours qu’ils ne sont censés maîtriser logiquement qu’après avoir appris certaines règles grammaticales». Même les responsables des établissements scolaires n’y comprennent pas grand-chose.
Dans l’anonymat, ils dénoncent cet état de fait, mais ils se réservent le droit de le dire publiquement. L’année dernière, beaucoup a été dit sur l’allègement des programmes. Le ministère de l’Education a fait d’incroyables promesses. Mais c’était beaucoup plus pour faire taire les parents d’élèves qui se plaignaient de la charge des programmes et de la lourdeur du cartable. En fin de compte, ce n’est que de l’esbroufe. On a diminué un quart d’heure de chaque cours.
Ce qui fait que les élèves sont libres à partir de 14h30. Mais pour faire quoi en fait ? Rien jusqu’à 15h30. Le ministre a parlé d’activités périscolaires, comme le dessin, le sport et la musique, mais dans certains établissements scolaires d’Alger, l’on a fait appel à la contribution des parents d’élèves. Les salaires des enseignants sont bien évidemment assurés par ces derniers. Et à défaut, il y a des écoles où les enseignants chargés du préscolaire font carrément du gardiennage. La situation de l’école est catastrophique.
Et nous avons l’impression que ce n’est pas seulement à cause de l’incompétence, mais cela semble relever d’une volonté d’installer l’école définitivement dans la régression. Il suffit de prendre un exemple frappant concernant les études de médecine et d’autres filières scientifiques : il n’y a aucun système d’enseignement dans le monde où l’élève jusqu’à l’obtention du bac suit un cursus totalement arabisé, et ensuite se voit obligé de faire des études supérieures en langue étrangère.