Eden pour les uns, pandémonium pour les autres, partir à l’étranger reste, malgré tout, un rêve absolu, voire même l’ultime échappatoire pour assurer l’avenir, car les étudiants algériens se sentent abandonnés par l’Algérie, leur pays, où ils ont été formés et instruits. «Le printemps s’annonce beau. Il n’en sera que plus beau », disait un romancier algérien. C’est la saison des fleurs, des prés verdoyants, du piaillement des oiseaux, du ruissellement des eaux. C’est la saison des poètes, des romantiques. Toutefois, c’est aussi au printemps que les universités algériennes connaissent une certaine dynamique, peu habituelle. C’est en cette période aussi, que des milliers d’étudiants, entament des démarches pour une inscription dans les universités étrangères. C’est la course contre la montre dans les milieux estudiantins. C’est du moins ce que nous avons constaté lors de notre visite dans certaines facultés, écoles et instituts de la capitale. Les amitiés se nouent, se multiplient, par hasard, pour ne durer que l’espace d’une discussion portant sur les modalités d’inscription dans une université de l’Hexagone et sur les nouvelles mesures prises par ces célèbres institutions d’enseignement, devenues le rêve à réaliser des étudiants algériens. Qui par Internet, qui par courrier postal, le stimulus et l’envie de quitter à tout prix l’Algérie poussent les universitaires à même de postuler dans des lycées français. « L’essentiel, c’est d’obtenir le visa », nous chuchote à l’oreille, Salim, étudiant en 3e année à l’USTHB, et d’ajouter : «J’ai 23 ans, il me reste donc au moins 2 ans d’études et 2 ans de service militaire, sans compter… ». Sa phrase est suspendue comme pour nous dire que l’avenir est synonyme d’illusion au cas où il reste ici. Oui, ils sont Algériens, étudiants et ont l’ambition de réussir. Un seul rêve les anime : rejoindre l’eldorado européen. Quitter leur pays pour un autre, afin d’y étudier mais surtout pour donner un sens à leur vie ; cela semble être leur finalité. L’ultime ambition. Rien ne pourra les faire revenir en arrière. La décision est prise. Elle est mûrement réfléchie. «Notre avenir se trouve de l’autre côté de la Méditerranée, il faut y aller pour l’assurer, car l’Algérie ne représente désormais pour nous que le passé», soutiennent-ils à l’unanimité. Pourquoi, diantre, je m’excuserai pour ce terme, ce sentiment de vouloir, à tout prix, la quitter. Pourquoi des étudiants, qui constituent l’avenir de leur pays et considérés comme étant une élite, ne pensent qu’à s’exiler ? Il existe sûrement une raison, voire une explication à cet engouement de masse. Afin de comprendre les causes et les raisons de ce choix et faire la lumière sur un phénomène qui ne cesse de prendre des proportions alarmantes, nous nous sommes rapprochés des personnes concernées. Et là, tenez-vous bien, la détermination est toujours de mise. «Comment ne pas comprendre cette soif de vouloir poursuivre des études dans des universités étrangères, mieux structurées et de meilleure qualité.
À LA RECHERCHE DE L’AVENIR PERDU
La fibre nationale ne suffit pas, car, partir c’est avoir la possibilité de mieux étudier, mieux travailler, mieux vivre, si tout se passe comme prévu», dira d’emblée Hocine, étudiant en droit à l’université d’Alger, et de poursuivre : «Si les frontières des pays occidentaux étaient ouvertes... l’Algérie se videra de ses jeunes». De son côté, Saïd, étudiant en 3e année de français, n’a pas omis d’afficher son amertume par rapport à la situation désastreuse que vivent les étudiants, sans que les pouvoirs publics ne daignent bouger le petit doigt pour améliorer leur situation, une situation qui pèse comme une menace sur le devenir du pays et qui se traduit par la fuite des cerveaux. «Il est désolant de constater que l’Algérie n’est pas en mesure de dispenser des formations adaptées dans tous les paliers d’enseignement, de garantir la sécurité alimentaire aux citoyens ayant de bas revenus, ni une qualité de vie acceptable (le revenu minimum vital pour une famille de quatre membres est de 35 000 DA). Finalement, il est tout à fait naturel de constater autant de candidats au départ ». Et d’ajouter : «Aujourd’hui, mis à part une minorité de nouveaux riches qui pensent rester en Algérie, pour les autres, le seul salut reste l’exil. Actuellement, on peut classer les Algériens en deux catégories : les exilés et les nouveaux riches d’un côté et les autres laissés-pour-compte de l’autre. À trop remuer le couteau dans la plaie, nos décideurs ne sont capables que du pire, sinon comment expliquer ce laisser-aller de leur part. L’Etat ne s’est jamais intéressé à cet aspect important, considéré comme une question stratégique dans des pays qui se respectent, et qui tiennent fortement au devenir de leur progéniture, surtout sur le plan de l’enseignement». Pour notre interlocuteur, il est temps pour les pouvoirs publics de sortir de leur tour d’ivoire pour mettre en place de véritables mesures concrètes au profit des étudiants et d’en finir avec les discours dithyrambiques, panégyriques et des promesses sans lendemain. « C’est peine perdue que de limiter les actions de l’Etat à l’élaboration de décrets et de textes juridiques sans que cela ne soit suivi sur le terrain par des actions concrètes.
MÊME LES FILLES…
Dire que les opérations menées dans le cadre de l’emploi des jeunes règleront, à elles seules, tous les problèmes des jeunes Algériens, serait un leurre, un mirage », soutient, encore Saïd. Le désir d’aller ailleurs ne semble point le seul souci des étudiants. Et pour cause ! La gent féminine y pense également. « L’étranger ? Pourquoi pas ? Je ne vous cache pas que l’idée me taraude l’esprit. Si l’occasion se présente, je ne la raterai pas. Je n’ai pas l’intention de laisser passer une telle occasion pour tout l’or du monde », dira Kahina, en 3e année droit. Et de justifier sa motivation par, entre autres, le chômage, l’absence d’un cadre de vie adéquat, de perspectives mais surtout le manque de considération vis-à-vis de l’étudiant algérien. « Il est un secret de polichinelle que le niveau de certains étudiants n’est pas au top. Mais cela ne doit pas servir d’alibi pour descendre en flammes ces derniers. Ce n’est pas de leur faute. C’est la faute au système adopté par l’Etat », relate-t-elle. Toutefois, ce qui touche fortement cette étudiante est le comportement de certains anciens cadres qui, au lieu d’encourager les jeunes en facilitant leur intégration dans le domaine du travail, ils trouvent le moyen de les blâmer, voire même les condamner, alors qu’ils savent pertinemment que «nous n’y sommes pour rien». Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, les étudiants n’ont qu’une seule finalité : quitter le pays pour un autre en quête d’une vie meilleure et d’un encadrement de qualité. Il ne s’agit pas là d’un effet de mode, mais d’une interprétation réelle, véridique d’une situation, on ne peut plus amère, que vivent des milliers d’entre eux. Dès lors, l’exil devient leur ultime refuge, le seul espoir de leur avenir.
«CEUX DE LÀ-BAS SONT MIEUX QUE CEUX D’ICI…»
Si les étudiants d’ici sont unanimes à qualifier l’Europe d’eldorado qu’il faut atteindre à tout prix, voilà que ceux de là-bas divergent. Il y a ceux qui estiment que le pays d’accueil offre tous les moyens, tant humains que matériels, de réussite et permet, par voie de conséquence, un cadre de vie des plus appropriés, il n’en est pas de même pour les autres qui n’ont pas omis d’exprimer tous les aléas qu’ils ont rencontrés au cours de leur séjour, du moins durant les premiers mois, qui sont souvent pénibles à gérer. Les difficultés d’adaptation par rapport à l’environnement social, au rythme des études appliqué dans les universités étrangères, le manque de revenus conséquents et la discrimination raciale sont, en somme, d’éventuels problèmes auxquels auront à faire face les nouveaux débarqués, fraîchement émoulus des universités algériennes. « Pour aspirer à la réussite, dira Hamid, étudiant à la faculté de droit de Grenoble, il faut d’emblée oublier les études. La majorité d’entre- nous ont quitté l’université pour rejoindre le marché du travail. Les frais des études sont très élevés et si l’on ajoute le loyer, le transport, la nourriture, la facture devient lourde et les 1 000 euros que nous avons ramenés du bled sont insuffisants». Et de poursuivre : «Face à cette situation, les étudiants n’ont pas le choix : ou bien ils diffèrent d’une année leurs études, dans le but d’amasser des revenus supplémentaires ou bien ils prennent le chemin du retour au pays, ce qui n’est pas évident, bien que des cas ont été signalés». De son côté, Djamel, étudiant à l’université Provence Aix-Marseille 1, que nous avons joint au téléphone, nous fait savoir que la France « réelle » est différente de celle que nous avons imaginée quand nous étions en Algérie. « La vie est dure ici. Il faut goûter de tous les plats pour espérer une vie meilleure. Il n’y a qu’un seul moyen d’y arriver : le travail et le sérieux. Avec ces deux facteurs, la réussite est garantie, ce qui n’est pas le cas chez nous, les choses allant de charybde en scylla.» En dépit de cette situation des plus difficiles qu’endurent les étudiants algériens en Europe, notamment en France, qui est la destination la plus prisée, l’idée de revenir au pays ne frôle point leur esprit. C’est une résolution à écarter. Explication : « Proposer, en Algérie, à de jeunes universitaires des emplois serviles et dégradants, sous prétexte qu’il n’y a pas de débouchés pour des jeunes comme nous, mais entre- temps, s’occuper convenablement des autres, les fortunés et les nantis du système en les gratifiant, entre autres, par de solides prêts bancaires tout en refusant tout cela aux autres enfants du peuple, ce ne sont là que des agissements qui nous poussent à voir ailleurs et ne jamais y revenir. C’est cette idée- là qui nous fait dire que notre avenir est désormais en Europe et nulle part ailleurs», fulmine Djamel, non sans proposer des solutions, à ses yeux, en mesure d’inciter les étudiants à rester en Algérie, car pour tous ceux qui sont «là bas», c’est déjà trop tard. «Il faut éliminer toutes les vieilles pratiques pour que les jeunes reprennent confiance et participent pleinement au développement de leur pays natal.» A quelques différences près, Farid, étudiant dans la même université abonde dans le même sens. Ainsi, il réplique tacitement, comme s’il avait préparé son intervention : « Viva Europa ! Notre Etat ne se soucie point de nous, de notre situation, qui est des plus déplorables, et notre avenir est compromis. Or ne sommes-nous pas la véritable solution dans ce pays puisque nous sommes l’avenir, voire l’avenir immédiat ?». Et d’ajouter «Disons-le courageusement : les hauts responsables de l’Etat, chacun en ce qui le concerne, n’ont rien entrepris pour retenir les étudiants après les avoir instruits et formés. L’Algérie est le seul pays qui offre gracieusement des kyrielles d’universitaires aux pays européens qui savent en tirer profit ». En tout état de cause, les pouvoirs publics se doivent de trouver une solution à ce phénomène, dans les plus brefs délais. Il y va de l’avenir de l’économie algérienne. Le cours des choses risque d’être fatal si des mesures urgentes ne sont pas prises pour mettre un terme à cet exode. Faut-il donc sonner le tocsin ? C’est ce qui est désormais fait. Mais pour que ce cri de détresse soit entendu, les autorités de l’Etat se doivent de sortir de leur «tour d’ivoire» pour mener une véritable politique, de façon à prendre en charge les doléances des universitaires algériens. L’appel est lancé…
EN QUELQUES CHIFFRES
- Plus de 20 000 étudiants algériens
- 20 304 précisément
- poursuivent des études supérieures dans les universités françaises.
- Les étudiants algériens sont les plus nombreux par rapport aux étudiants étrangers présents en Hexagone, suivis des étudiants marocains
- Le campus France a enregistré 12 878 adhésions d’étudiants algériens pour la constitution de dossiers de candidature. Sur 5 592 entretiens avec les étudiants algériens, 3 207 visas d’études en France ont été attribués par ledit campus en 2007. Le campus avait octroyé 3 402 visas d’études à des étudiants algériens en 2006.
- L’accès aux universités françaises des étudiants algériens revient approximativement à 9 000 DA : 1 500 DA pour les frais d’adhésion, 5 000 DA pour le test de connaissance de langue, 2 500 DA pour les frais d’interview ; le tout est conditionné par l’acceptation du dossier académique de la part du campus.
- 34% des étudiants algériens ont effectué une inscription dans la filière des sciences et des technologies, en 2006 ; 19% sont dans la filière santé et 18% dans les lettres, les arts et les sciences humaines. En 2007, 3 207 étudiants ont été inscrits dans une université française. 1 700 en Master2 ou doctorat contre 866 en Master1. Cependant, le nombre d’étudiants admis reste infime par rapport au nombre de demandeurs qui a dépassé les 30 000 en 2007.
- Afin d’organiser ce flux d’étudiants vers les écoles et les universités françaises, l’ambassade de France a créé, il y a deux ans, une structure dénommée : «Campus France Algérie». Cet outil au service des étudiants qui a été, au début, lancé dans cinq pays, dont l’Algérie, couvre actuellement plus de 60 pays à travers le monde.